Irak : La tragique erreur de Dalil Boubakeur

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Alors que l’ancien prix Nobel de la Paix Barack Obama vient de prononcer un discours pour appeler à la « destruction de l’Etat islamique en Syrie comme en Irak », Dalil Boubakeur a pris la parole pour dénoncer ces crimes commis par l’EI.

Réunis à la Grande mosquée de Paris ce 8 septembre, Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France, Dalil Boubakeur, recteur de ladite Grande mosquée et Patrick Karam, président de la Chredo ont conjointement appelé à « condamner les crimes contre l’humanité » perpétré au Moyen-Orient et ont manifesté « leur soutien aux diverses minorités de la région », avant de présenter un « Appel de Paris » pour prendre la défense des chrétiens d’Orient.

Interviewé le matin sur France Inter, Dalil Boubakeur avait déjà tenu ces propos : « Je souhaite que les pays musulmans sortent un peu de leur réserve ou de leur froideur par rapport aux massacres des Chrétiens et des Yazidis (…) C’est un cas où les musulmans ne doivent pas se taire ». Ces mots font écho à la déclaration d’Anouar Kbibech qui dès le 28 juillet confiait « sa consternation » et souhaitait « agir pour arrêter une violence qui n’épargne aucune communauté  ethnique ou religieuse irakienne ».

L’inévitable confrontation avec Eric Zemmour

En dépit de ces appels à la paix entre les religions dont il faut faire l’éloge, sans relâche, ces déclarations se confrontent à différents écueils. Pour certains éditorialistes en effet, immatriculés « réactionnaires », tel qu’Eric Zemmour qui l’a affirmé au cours de l’émission Ca se dispute du 5 septembre dernier, les islamistes en Irak appliquent le Coran à la lettre. En d’autres termes, le journaliste du Figaro affirme que ces djihadistes ne font qu’appliquer la Charia et que par conséquent l’Islam est fondamentalement une religion guerrière qui menace l’occident.

D’autres comme Ivan Rioufol, qui avait déjà appelé à intervenir en Irak pour soutenir Bush dès 2003, exhorte également la communauté internationale à agir face à l’islamisme qui fait des ravages en Irak, et sous-entendent parfois que ce danger guette la France. La première erreur de Dalil Boukakeur réside donc, non pas dans la légitime condamnation des horreurs de Mossoul, mais dans la prise de parole quasi obligée pour dénoncer ce fameux « islamisme », qui serait une sorte de stade évolutif de l’islam traditionnel.

Face à une telle prise de position, la réponse de Zemmour et consorts est attendue, prévisible : en Irak ou dans certaines zones de Syrie, est appliquée la Charia et c’est un véritable danger car les musulmans n’auraient que l’Oumma comme seule référence, au détriment des lois séculaires des nations constituées et qu’un choc des civilisations est inévitable. Comme avec toutes les religions, il est bien sûr question d’interprétation littérale et de compréhension distancée, mais en pourfendant une « dérive » de l’islam, les représentants musulmans laissent toujours entendre qu’il s’agit de l’islam, laissant ainsi la porte ouverte aux attaques de Valeurs Actuelles.

Pourquoi forcer le musulman à devenir Bushiste ?

Nulle question de verser ici dans les diverses théories du complot, qui prospèrent sur la toile depuis le 11 septembre 2001. Mais il demeure possible de se poser des questions légitimes et d’exposer certains faits parmi lesquels des liens peuvent être effectués.

Récemment, un ministre allemand dénonçait l’armement des islamistes irakiens par le Qatar ou l’Arabie Saoudite, et il ne fait plus guère de doute à présent que de l’argent transite depuis ces pétromonarchies pour équiper ces cohortes, depuis l’Irak jusqu’en Syrie. Le plus troublant, il est vrai, est l’envoi d’armes par la France à ces rebelles, pour ensuite ordonner leur destruction.

Seulement le Qatar est une création britannique et constitue, comme les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite, des protectorats américains qui abritent des bases militaires occidentales en échange, bien entendu, du pétrole. D’ailleurs, il n’aura échappé à personne que ces pays du Golfe utilisent le pétrodollar pour leurs transactions. Et c’est sur ce point précis que les médias et autres commentateurs toujours prompts à alerter sur le « nazislamisme » sont, sinon silencieux, sinon de mauvaise foi. Après l’anthrax, diront certains, les USA agitent à présent le chiffon vert du Djihad pour justifier une intervention occidentale en Irak, jusqu’en Syrie. Parce qu’avec la confrontation future avec le géant chinois – premier créancier des Etats-Unis – allié avec la Russie de Poutine, cette partie du globe est stratégique, fondamentale pour préserver la Pax americana. Certes, le martyre des Chrétiens d’Irak nous est pénible, mais n’a-t-il pas été orchestré pour sensibiliser et coaliser l’opinion occidentale ? Pourquoi notre pays a-t-il indirectement armé des mercenaires pour ensuite envahir un pays ? S’il était simplement question de lutter contre les persécutions et la dictature, personne ne comprendrait l’impunité du régime nord-coréen.

La prise de position de Dalil Boubakeur est donc dramatique pour les musulmans, car elle les oblige non seulement à se confronter de manière binaire avec la pensée réactionnaire mais aussi à légitimer le choc des civilisations si cher à Huntington et à la droite conservatrice américaine. En bref, il les contraint à s’aligner sur l’atlantisme de BHL et à une vision bushiste du globe.

Puisque CNN, Fox News et TF1 disent la même chose, il y a forcément matière à s’interroger.

Julien De Rubempre

Julien De Rubempre

Fondateur du Nouveau Cénacle. Navigue entre sa bibliothèque, le Parc des Princes, Guernesey et son encrier. Pur produit d'une époque qu'il critique inlassablement.