Nos mal-aimés, Ces musulmans dont la France ne veut pas : tout était réuni, jusque dans le titre, pour provoquer une polémique stérile, attisant la rancœur des uns, l’indignation des autres, dans le seul but de dominer le top des ventes de la FNAC. Mais force est de constater que Claude Askolovitch signe chez Grasset un essai clairvoyant, nuancé et instructif. Une analyse signée Julien de Rubempré.
Après Voyage au bout de la France et Le Front national tel qu’il est, Claude Askolovitch s’attaque à un autre sujet majeur de notre société : la place de l’islam en France. Nos mal-aimés commence ainsi par son éviction du Point à cause d’un désaccord sur l’angle à adopter afin de traiter du halal dans une enquête qui lui avait été proposée. En pleine campagne présidentielle, alors que Marine Le Pen avait lancé cette polémique, il fallait rebondir immédiatement sur ce thème et faire un numéro racoleur sur les musulmans. « Asko » refusa et FOG le congédia. Ainsi commence pour l’ancien journaliste du Nouvel Observateur et de Marianne une découverte personnelle des musulmans, de leurs pratiques, de leur ressenti, de leur place au sein de la société française.
Deux écueils étaient à éviter. Il fallait d’une part éviter de jouer au Panglosse version UNICEF selon qui tout va très bien, qu’il n’y aucun problème d’intégration, que tout n’est que fantasme médiatique ; et d’autre part éviter de brocarder la prétendue tendance fascisante des Français, ce qui aurait, certes, provoqué une belle polémique mais n’aurait en rien élevé le débat.
Askolovitch, libéro de la laïcité
Askolovitch est un footeux et comme tous les dingues de ballon rond, il pense attaque/défense, contre et reprise de volées, jusque dans ses réflexions. Journaliste sportif à l’origine, auteur d’un livre avec Basile Boli, chroniqueur sur BeIN Sport avec Alexandre Ruiz, il montre à travers cet essai à quel point il manie les rouages de la tactique, et construit un véritable 4/4/2 pour les musulmans de France.
Gardien de la raison dans un pays guidé par l’émotion, il commence par bâtir une défense imprenable : celle des croyants qui n’exigent rien, travaillent, étudient et élèvent leurs enfants dans un pays qui laisse dire à Claude Imbert, expert ès litote, qu’il est « Un peu islamophobe ». Par-delà les polémiques stériles, il s’intéresse donc à ce que peut ressentir un fidèle sur son mode de vie, sa pratique, sa relation personnelle au divin. Il alterne entre défense de zone en évoquant les croyants dans leur globalité et entre marquage individuel, dialoguant avec des musulmans anonymes, universitaire, banquière, militant, maraudeurs et étudiants afin de recueillir ce sentiment de souffrance qui secoue un être taclé par derrière en raison de son rapport à Dieu.
Askolovitch joue sans meneur de jeu : il raconte tantôt son expérience d’enfant juif confronté lui aussi au menu unique de la cantine, tantôt ses conversations avec ces musulmans dont la France a peur, pour s’en prendre in fine à cette France qui n’accepte pas son changement, à cette laïcité catenaccio qui enferme plutôt qu’elle ne libère.
Un essai niveau Ligue des champions
Cet essai se situe au-delà du clivage factice entre la gauche et la droite. Askolovitch attaque sur les deux ailes, critiquant tant les turpitudes des socialistes au pouvoir face à cette situation que les passements de jambes ratés de l’UMP sur ce sujet entre 2002 et 2012. Il attaque de front. Avec deux pointes :exhorter la France à se regarder telle qu’elle devient et à comprendre les injustes brimades infligées à ses compatriotes, laissés sur le banc en raison d’un voile ou d’une barbe trop longue.
Il n’hésite pas non plus à s’en prendre à l’imam Chalghoumi, coqueluche des médias qui au final marque sciemment contre son camp. Ni aux islamistes radicaux, ni aux problèmes des mariages religieux célébrés avant le passage en mairie, ni aux propos parfois antisémites que peuvent proférer certains fondamentalistes. Parce que son but n’est pas de désigner tel ou tel coupable à la vindicte médiatique, mais bien plutôt d’élever le niveau du débat, et c’est en cela que Nos mal-aimés est un essai niveau Ligue des champions, laissant les « clashs » stériles dans la CFA 2 de la réflexion intellectuelle.
Albert Camus déclarait « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois ». L’intelligence du système proposé par Askolovitch ne saurait nous donner tort. Mais Camus écrivait également dans L’Homme révolté : « L’intelligence dans les chaînes perd en lucidité ce qu’elle gagne en fureur ». On ne saurait mieux dire, tant le manque de recul et l’émotivité empêchent toute lucidité sur ce débat qui se conclut par un piteux match nul depuis trente ans.